Dans le cadre de notre dossier « Expert I.A : La force des algorithmes pour résoudre les énigmes du futur », Grégoire Colombet (Chief Executive Officer d’IBM AI Decision Coordination) a accepté de faire un point sur l’année écoulée et sur les grands enjeux du secteur de l’IT.
Intelligence-artificielle.Com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? (Quel poste occupez-vous, dans quelle entreprise)
Grégoire Colombet (IBM AI Decision Coordination) : Grégoire Colombet, ex-cofondateur et CEO d’IBM AI Decision Coordination [une start-up IBM], Expert en Intelligence Artificielle et des interactions IA-Humains.
Quelles sont les dernières avancées et innovations dans le domaine de l’IA qui ont retenu votre attention récemment
Difficile d’occulter l’IA Générative. Pour autant, au-delà du buzz et de l’exubérance, il semble encore que l’IA, de manière générale, y compris générative, peine encore à être porteuse de toutes les promesses qu’on a pu lui prêter. Le plus intéressant dernièrement consiste donc à constater les gains effectifs que peut amener l’IA : ils sont importants, mais ils conduisent aussi à davantage de nuance, d’évaluation et de prudence.
Quels secteurs ont le plus bénéficié de l’intégration de l’IA
De très loin, le secteur des nouvelles technologies et de l’informatique en ce sens qu’elles ont pu vendre tout un ensemble de produits logiciels et hardware qui ne portent pas encore totalement leurs fruits en termes de Retours sur investissement. Ensuite, les services/conseil tireront leur épingle du jeu dans l’expansion de cette technologie dans les organisations. Le secteur des services financiers peut trouver dans l’IA un différenciant compétitif déterminant, capable de leur faire affronter sereinement la compétition que pourrait/peut poser l’immersion des GAFA dans leur giron. Ensuite, des secteurs comme la santé, l’énergie ou l’industrie pourraient bénéficier d’effets de rattrapage substantiels sûr et grâce à l’IA.
Comment voyez-vous l’avenir de l’IA et son impact sur la société
Il est difficile de se prononcer sans avoir en tête les chiffres de McKinsey de 2017 qui annonçaient que 60 % des emplois pourraient disparaitre à cause de l’Automatisation… De manière générale, à mon humble avis, l’IA touche profondément à ce qu’il reste de contrat social dans nos sociétés. Je m’explique. Si les gains déjà vérifiés et ceux attendus se réalisent, la question de la répartition de ces gains se pose de manière très légitime. Si le capital finance en grande partie les projets d’IA, ces derniers ne peuvent aboutir qu’à condition de bénéficier de connaissances, d’informations, d’intelligences humaines, issues du travail. Ces projets ne sont également possibles qu’à travers les investissements non négligeables consentis par l’état. Il faudra donc trouver une réponse juste et socialement acceptable à l’usage de l’IA dans le monde. Chose dont nous ne disposons absolument pas aujourd’hui.
Quel est votre avis sur l’impact qu’a et qu’aura l’IA sur l’emploi en France ?*
Soyons honnêtes : l’impact de l’IA aujourd’hui reste somme toute très modeste. Il a enclenché une croissance démesurée de recrutement de profils « Data Scientists » à qui les fondamentaux mathématiques et statistiques ne sont même pas toujours enseignés… Quand l’IA sera vraiment utilisée à des niveaux significatifs, mes travaux et mes convictions m’amènent à penser que des emplois extrêmement qualifiés se créeront pour concevoir les applications concrètes et utiles de l’IA et les interactions avec les décisions/outils et processus humains. Les tâches et les décisions qui resteront l’apanage de l’humain (ou de la collaboration IA-Humainà seront des tâches soit à très forte intensité intellectuelle et sociale ou bien avec un côté manuel probablement incommensurable pour l’IA actuellement). Pour ce qui est de la France en particulier, malgré ce qu’on en dit, elle bénéficie des écoles et des profils à même d’être à l’avant-garde de ces changements technologiques. Tout porte à croire qu’elle sera donc en capacité de produire les leaders de ce monde de demain, à condition qu’elle sache les retenir : ce qui ne fut pas le cas de Luc Julia, Yann Lecun, Hugging Face…
Quels sont les principaux défis éthiques liés à l’IA et comment les abordez-vous dans votre travail ?
Le vrai débat éthique consiste avant tout à se demander ce qu’il est souhaitable d’espérer de cette technologie. Que souhaitons-nous augmenter à l’aide de cette technologie ? Notre production économique ? Notre efficacité sanitaire ? Notre « équité » ? Notre intelligence ? Que faire quand ces dimensions évoluent dans des directions opposées (ex. : détecter + de fraude implique parfois de discriminer des minorités sociales ou ethniques) ? Les autres défis éthiques de l’IA relèvent de l’autonomie humaine et de l’exercice de notre responsabilité lorsque l’IA est utilisée comme assistant ou comme outil d’automatisation. Qui assumera les conséquences de décisions prises par un algorithme ? Et de manière concrète, qui acceptera d’annoncer le décès d’un patient parce qu’une machine s’est trompée ? Quand bien même aucun médecin n’aura pu faire mieux… ?
Quelles sont, selon vous, les opportunités et les défis futurs pour les experts en IA, notamment en ce qui concerne l’évolution de la technologie et de la réglementation ?
Le vrai défi et les opportunités associées ne sont pas tant technologiques ou réglementaires. Tout cela relève des facteurs humains et de la mesure selon laquelle cette technologie s’intégrera effectivement dans nos pratiques, décisions, responsabilités… Les évolutions induites par l’IA (changement de processus, de reporting, de gouvernance, de compétences, d’organisation, de business model…) sont très proches de toutes les grandes activités du monde du consulting…
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans une carrière dans l’IA ?
Ouvrez la boîte noire : Apprenez les maths, apprenez les statistiques et ensuite, penchez-vous sur la boîte de Pandore : les comportements humains.
Propos recueillis par Mathilde Flory.
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