Des entreprises françaises utilisent désormais l’IA comme excuse pour procéder à des vagues de licenciement. Ce phénomène inquiète les syndicats, qui réclament des garde-fous avant que cette logique ne se banalise.
L’entreprise de veille médiatique Onclusive a lancé un plan social lié à l’arrivée de l’IA. Située à Courbevoie, elle a annoncé la suppression de 200 postes en invoquant « agilité » et « compétitivité ». Après des mois de tensions, 146 licenciements économiques ont été validés début 2024. Ce cas est le premier en France à rendre visible la pression de l’IA sur l’emploi.
Quelques semaines plus tard, IBM annonçait la suppression de 200 postes en faveur de l’automatisation. Aux États-Unis, Google, Amazon, Microsoft et Meta suivent une trajectoire similaire. L’IA générative permettrait, selon eux, de réduire les coûts et d’accélérer la productivité. Mais derrière cette rationalité économique se cache un impact humain massif et souvent brutal.
Selon Goldman Sachs, l’IA menace 300 millions d’emplois dans les prochaines années. Un rapport du Forum économique mondial estime que 40 % des entreprises envisagent des réductions grâce à l’automatisation. Les secteurs concernés : médias, droit, formation, finance, marketing et service client. Ces prévisions révèlent un glissement rapide vers une redéfinition du travail.
Les syndicats dénoncent une logique d’alibi technologique
Pour Force Ouvrière, ces licenciements reposent trop facilement sur l’excuse technologique. Le Code du travail exige pourtant une justification sérieuse à chaque suppression d’emploi. Les entreprises privilégient désormais deux leviers : les « mutations technologiques » et la « compétitivité ». Mais selon l’avocat Mathieu Vallens, ces justifications doivent s’appuyer sur des preuves concrètes. Il faut démontrer que l’IA améliore réellement la performance d’une activité.
La loi impose aux employeurs de tenter toutes les options avant de licencier. La formation, l’adaptation et la reconversion doivent précéder toute rupture de contrat. Selon Vallens, l’anticipation permet d’éviter les conflits et de maintenir un climat apaisé. Pourtant, dans le cas d’Onclusive, ce dialogue semble avoir été évité, malgré l’ampleur de la restructuration.
Une commission nationale appelle à mieux encadrer l’IA
En 2024, une commission créée par la Première ministre Élisabeth Borne a recommandé d’intégrer l’IA dans les négociations collectives. Le rapport remis au gouvernement évoque 25 mesures, dont une sur le renforcement du dialogue social. Elle propose d’impliquer les salariés dans les décisions d’intégration de ces technologies en entreprise. L’objectif est d’éviter que l’IA devienne simplement une excuse pour précipiter les licenciements.
En 2025, plusieurs syndicats ont lancé le projet Dial-IA avec l’appui de chercheurs de l’IRES. Il contient un manifeste pour un dialogue équilibré et une boîte à outils à destination des élus. L’enjeu : outiller les représentants pour qu’ils puissent comprendre, négocier et intervenir. Selon FO Cadres, il existe encore une forte asymétrie entre les directions et les salariés.
Le cas Onclusive cristallise les tensions autour de l’IA
Pour les anciens salariés, le choc ne vient pas uniquement de la suppression des postes. « Ils ont coupé, et c’est tout », regrette Sylvain Le Quéré, ancien directeur commercial licencié. Un dialogue en amont aurait pu changer la perception du plan social, selon lui. L’entreprise affirme pourtant avoir dépassé ses obligations pour accompagner les départs.
Pour Éric Peres, de FO Cadres, la transition technologique doit être anticipée, accompagnée et négociée. Il rappelle que la technologie peut coexister avec l’humain, si elle s’intègre dans une logique sociale. « Le progrès doit s’inscrire dans des conditions équitables pour les travailleurs », conclut-il. Une perspective qui fait encore débat dans un marché bousculé par l’IA.
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