Vous venez de découvrir un groupe de jazz progressif japonais dont le dernier album vous fascine. Vous vous renseignez, vous cherchez des interviews… mais surprise : ce groupe n’a jamais existé. Tout, de la musique aux pochettes, a été généré par l’IA.
Sur YouTube, l’album Rumba Congo, attribué au groupe Concubanas, recrée une ambiance salsa authentique. La description évoque une histoire crédible : un groupe fondé à La Havane, dissous en 1992. Pourtant, une note indique que ce contenu est « synthétique ». Ce terme, discret, masque une réalité troublante : cette musique a été générée par IA, comme des dizaines d’autres albums fictifs.
Ces faux groupes séduisent un public toujours plus vaste sur YouTube comme sur Spotify, où ils s’imposent sans difficulté. Les plateformes comme Suno, Boomy ou Udio permettent aujourd’hui de composer jazz, rock ou rumba sur simple commande. Ce phénomène explose : selon la CISAC, la musique générée par IA pourrait représenter 4 milliards de dollars d’ici 2028.
Quand l’IA envahit Spotify
Sur Spotify, la multiplication des faux groupes inquiète certains auditeurs. Des forums comme Spotify Community hébergent déjà des pétitions pour réclamer plus de transparence. Les utilisateurs demandent notamment une option pour bloquer la musique générée artificiellement dans leurs recommandations.
Le directeur technique de Spotify, Gustav Söderström, considère que l’IA stimule la créativité. Selon lui, cette technologie « permet à ceux qui ne savent pas jouer d’un instrument de produire de la musique ». Mais en dehors du débat artistique, la plateforme ne propose actuellement aucun étiquetage systématique pour ces contenus.
« J’ai trouvé ça bien, jusqu’à ce que je réalise que c’était de l’IA », raconte María Teresa Llano, chercheuse au Royaume-Uni. Elle évoque un sentiment de perte. Difficile de créer un lien émotionnel avec une musique dont l’auteur n’existe pas.
Les faux groupes sur Spotify racontent pourtant une histoire. Phantasia, par exemple, cumule des milliers d’écoutes avec une prétendue carrière fictive. L’un de ses albums serait « l’aube de son âge d’or ». Tout cela n’est qu’une construction, habilement narrée pour donner du crédit à l’œuvre.
YouTube pose quelques garde-fous, mais reste permissif
YouTube demande aux créateurs de signaler le contenu généré par IA. Un avertissement discret apparaît dans la description, à condition de lire jusqu’au bout. En cas de manquement, la plateforme se réserve le droit d’étiqueter automatiquement les vidéos ou de supprimer le contenu.
Mais ces mesures ne suffisent pas à freiner la production. La chaîne Zaruret, par exemple, cumule déjà 135 clips, souvent accompagnés de longues descriptions imaginaires. Le canal attire des millions de vues et plus de 37 000 abonnés.
Fini la musique comme avant ?
Le problème ne se limite pas à la qualité de la musique ou au droit d’auteur. Il touche à l’expérience d’écoute elle-même. Savons-nous vraiment ce que nous entendons ? Ce que nous ressentons ? Un lien humain, souvent invisible mais fondamental, disparaît lorsque l’on écoute des faux groupes. Le message devient flou et l’émotion perd sa source.
L’IA ne remplace pas l’intention artistique, elle l’imite. Et tant que les plateformes comme Spotify ou YouTube n’imposeront pas de transparence systématique, les auditeurs devront naviguer à vue dans cet océan de créations synthétiques.
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