Avec l’intelligence artificielle, nous invoquons le démon

Dix ans après cette déclaration d’Elon Musk, l’inquiétude qu’elle soulève reste d’actualité.

À l’époque, l’entrepreneur prévenait que l’IA pouvait devenir plus dangereuse que les armes nucléaires. Aujourd’hui, cette prédiction alimente toujours les discussions entre experts, chercheurs et industriels. Le sujet ne relève plus uniquement de la science-fiction. Il touche désormais à des enjeux concrets, visibles et parfois dérangeants.

Pour comprendre si cette « invasion du démon » est réellement en marche, deux spécialistes en intelligence artificielle ont été interrogés par Manufacturing.net : Stephen Graham, d’Hexagon Nexus et Ivan Madera, PDG d’Adaptiv AI.

Une menace… mais encore très lointaine ?

Pour Stephen Graham, l’inquiétude de Musk relève encore d’une projection théorique. L’intelligence artificielle générale, cette IA capable de penser comme un humain, voire au-delà, n’existe pas encore. Elle nécessiterait une conception très précise et complexe, encore inaccessible avec la technologie actuelle. Selon lui, le vrai danger ne vient pas d’un scénario digne d’un blockbuster, mais d’un usage mal encadré des outils d’IA d’aujourd’hui.

Ivan Madera nuance davantage. Selon lui, le risque existe si l’IA évolue sans supervision. Si elle dépasse les capacités humaines, elle pourrait suivre des objectifs totalement incompatibles avec les valeurs humaines. C’est pourquoi, selon lui, des garde-fous stricts doivent être mis en place dès maintenant.

Des bénéfices réels dans le secteur industriel

Malgré les craintes, les deux experts s’accordent sur un point : bien utilisée, l’IA représente un soutien de taille. Dans l’industrie manufacturière, elle permet déjà de compenser le manque de main-d’œuvre qualifiée. Elle automatise des tâches complexes tout en facilitant la prise de décision grâce à des analyses précises.

L’essor du cloud computing a rendu ces outils encore plus accessibles. Mais cette accessibilité renforce également les risques liés à l’exposition de données sensibles. Pour Ivan Madera, tout dépendra du cadre d’utilisation : l’IA peut être bénéfique si elle évolue dans des environnements protégés.

Des dangers bien réels, dès aujourd’hui

Au-delà de la science-fiction, des menaces concrètes émergent déjà. Stephen Graham évoque deux risques principaux. Le premier : l’utilisation de l’IA à des fins malveillantes, comme la création de virus ou de deepfakes massifs. Le second : les conséquences imprévues générées par des algorithmes poursuivant un objectif unique sans contexte humain.

Il cite en exemple les algorithmes d’engagement sur les réseaux sociaux. En cherchant à maximiser les interactions, ils peuvent involontairement favoriser les discours haineux, la désinformation ou amplifier des troubles psychologiques.

Ivan Madera ajoute à cela les biais intégrés dans les systèmes d’IA. Lorsqu’ils sont formés sur des données inéquitables, ils peuvent produire des résultats discriminatoires. À cela s’ajoute un manque de transparence : comprendre les décisions d’une IA devient souvent impossible. Cela pose un vrai problème de responsabilité.

L’intelligence artificielle séduit autant qu’elle fait planer l’ombre d’un démon difficile à maîtriser. Pour certains, elle ouvre la voie à une nouvelle ère industrielle et technologique. Pour d’autres, elle évoque une boîte de Pandore dont on ne maîtrise plus les effets. Dix ans après l’avertissement de Musk, une chose est certaine : la question n’est plus de savoir si l’IA va transformer notre monde, mais dans quelles conditions nous laisserons cette transformation s’opérer.